Comme héritière de l’antique Augusta Ambianorum, dont les vestiges se trouvent à quelques kilomètres de là sous les couverts du bois l’Abbé, Eu est sans doute l’une des villes les plus anciennes de Normandie. Le nom de la cité est attesté sous les formes Auvae au IXe siècle, Auga en 925 et 927, enfin Aucum au XIIe siècle. Située sur la frontière avec les possessions de Charles III le Simple, à la suite du traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), Eu est transformée par Rollon, seigneur viking, en ville de garnison en 925. Rollon envoya la même année un milliers d'hommes depuis Rouen, ils s’avancèrent jusqu'à Amiens mais sont repoussés par le comte Herbert jusqu'à Eu. Les Francs prennent le château d'Eu (castrum Auga) et massacrent les derniers assiégés sur une ile fluviale voisine où ils s'étaient réfugiés. Une pierre marque l'emplacement supposé de la bataille de 925 entre Herbert et les vikings
En 927 Herbert revient en allié accompagné de Charles III le Simple afin de renégocier l'alliance avec Rollon. En peu de temps la ville se relève de ses ruines et son port se développe fortement en commerçant avec la Scandinavie. En 996, le comté d'Eu est créé par Richard, petit-fils de Rollon, dans le but de protéger la Normandie. Guillaume Ier, comte d'Hiémois reçoit le comté d'Eu de son frère Richard II, il fonde en 1002 la collégiale Sainte-Marie dans la ville d'Eu, desservie par des clercs séculiers. Ces clercs, qui ne vivent pas en cénobites s'occupent chacun une maison mise à leur disposition, se réunissent seul. En 1119, Henri Ier, né vers 1075 et mort le 12 juillet 1140 à l'abbaye d'Eu, fut comte d'Eu dans le duché de Normandie et lord d'Hastings dans le royaume d'Angleterre, consent au changement de chanoines séculiers en réguliers de Saint-Victor, de l'ordre de Saint Augustin. La collégiale Sainte-Marie devient donc abbaye.
En 1120, la construction de l'abbaye est achevée. En 1161, la confraternité est établie entre l'abbaye d'Eu et l'abbaye du Tréport. Si quelque religieux de l'une et l'autre communauté est en désaccord avec son abbé, il pourra se retirer dans l'autre abbaye, jusqu’à ce que le tout soit apaisé. En 1180, Laurent O’Toole, archevêque de Dublin et légat du pape, tente de rencontrer Henri II Plantagenet, roi d'Angleterre et duc de Normandie à Rouen, pour défendre son pays. Il tombe malade et est recueilli par les chanoines de l’abbaye d’Eu où il meurt le 14 novembre. Il sera inhumé dans l’église abbatiale du monastère du XIe siècle rattaché à l’Abbaye Saint-Victor de Paris. Il est béatifié en 1186 et canonisé en 1225.
Afin d’accueillir les nombreux pèlerins venant rendre un culte aux reliques de Saint-Laurent O’Toole, l’église abbatiale est transformée de 1186 à 1240 en style gothique et devient une collégiale dédiée à l’ancien archevêque de Dublin. Les différents bâtiments de l'abbaye seront achevés en 1230. Après les prémices de la guerre de Cent Ans entre 1340 et 1342, la ville d'Eu subit de nombreuses attaques anglaises et flamandes, elle est même incendiée en 1342. L'église subit les incendies de 1426 et 1475 qui touchent la cité d'Eu. En 1625, les Capucins sont admis à établir un couvent de leur ordre, au quartier de Saint-Pierre et à se servir de l'église paroissiale de Saint-Pierre. En 1632, l'abbaye s'unit à la congrégation de France.
Le 13 février 1790, l'assemblée constituante prononce l'abolition des vœux monastiques et la suppression des congrégations religieuses. Ses bâtiments sont détruits. Le terrain de l'abbaye est acheté par le château. Seule reste aujourd'hui son église. Deux épitaphes de frères sont scellées dans le mur de l'église contre lequel ils furent inhumés. C'est aujourd'hui l'église paroissiale Saint-Laurent. Elle a été restaurée et embellie par Louis-Philippe.
Forte de son histoire, la Collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent O’Toole, est un édifice de style ogival, élevé sur un plan en forme de croix latine, avec une nef principale, à laquelle sont accolés deux collatéraux. Le chœur, orienté à l'est, est cantonné par un transept et sept chapelles rayonnantes. L'accès s'effectue par la façade occidentale ainsi qu'un porche sur le côté sud. On y remarque surtout le portail principal, composé de trois portes, dont celle du milieu a une belle voussure soutenue par des colonnes de marbre Le chœur est soutenu par une armature de contreforts à trois étages, ornés de balustrades, de clochetons et de pinacles sculptés du plus gracieux effet. Les fenêtres sont du gothique flamboyant, sauf la grande rosace du portail Nord qui est du XIIe siècle. La voûte de la nef a été reconstruite en 1839. Le clocher et sa flèche, tous les deux polygonales, se situent à la croisée du transept.
A l'Intérieur de la Collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent, la nef, élevée au XIIIe siècle, se prolonge en onze travées à triple élévation. L'édifice renferme un grand nombre d'œuvres. Dans la chapelle de la Vierge, on conserve une vierge en bois qui passe pour avoir été le « chef-d’œuvre » de l’un des Anguier. Les autres chapelles contiennent une foule d’œuvres d’art et notamment de tombeaux, en partie anciens, en partie reconstitués sous le règne de Louis-Philippe. Les amateurs pourront ainsi découvrir une crypte de la fin du XIIe siècle abritant les les tombeaux (gisants), ornés de sculptures des comtes d'Eu et Laurent O’Toole, archevêque de Dublin. La crypte, véritable église souterraine, longue de 31 m et large de 6,5 m est à vaisseau unique, avec cinq travées rectangulaires et une travée absidiale à sept pans. Elle s'étend sous le chœur et les deux dernières travées de la nef. Qualifiée par l'Abbé Cochet de Saint-Denis de la Normandie.
Depuis la nuit des temps, il est d’usage pour les personnages les plus puissants de se faire inhumer sous des monuments destinés à rappeler à la postérité leur grandeur passée : tumulus néolithiques ou protohistoriques, pyramides égyptiennes, mausolées gréco-romains… En Gaule, les sépultures deviennent plus discrètes après les premiers raids germaniques, vers la fin du IIIe siècle apr. J.-C., et l’avènement du christianisme marque le début d’une ère de relative " humilité " post mortem. Autour de l’an mille, les membres de la haute noblesse trouvent généralement le repos éternel dans un établissement religieux.
Dans la crypte de la Collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent se trouve donc : Laurent O’Toole en descendant l'escalier, à gauche. Le duc d'Aumale (1704-1708) et Louis-Auguste de Bourbon, prince souverain de Dombes (1700-1755), tous deux fils de Louis Auguste de Bourbon, duc du Maine, lui-même fils de Louis XIV et de Madame de Montespan : au centre de la crypte. A gauche, les hommes : Charles d'Artois († 1472), Philippe d'Artois († 1397), son fils Philippe d'Artois († 1397 en bas âge), Jean d'Artois († 1387), fils de Robert III d'Artois, et son fils Charles d'Artois († 1368 en bas âge). A droite, les femmes : Isabelle de Melun († 1389)19, Isabelle d'Artois († 1379)20, Jeanne de Saveuse († 1448)21, Hélène de Melun († 1472)22.
La Collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent abrite également une mise au tombeau du XVIe siècle. Cette sculpture polychrome monumentale est l'une des plus belles de Normandie et représente l'ensevelissement du Christ au cœur d'une chapelle richement sculptée. Le banc d'œuvre, ouvrage de menuiserie de 1731. Réalisé par Adrien Le Jeune d'Abbeville, il représente un dais ovale soutenu par deux cariatides et orné de lambrequins dont les oves comportaient jadis des fleurs de lys sculptées. Ce meuble est surmonté de la statue de la religion sous laquelle pointent des canons évoquant l'un des donateurs, Louis Auguste de Bourbon, grand maître de l'Artillerie, duc du Maine et comte d'Eu de 1693 à 1736, qui avait offert le bois nécessaire à sa confection.
Des Stalles XVIIe-XVIIIe, une Chaire de 1752 par le menuisier Grimpel, des sculptures du XIVe et du XVe siècle, des Sculptures en bois XVIIe de saint François de Paule et saint François d'Assise, de part et d'autre du chœur, un Bas-relief de Nicolas de Melleville, ancien maire d’Eu, mort en 1504, représentant une piéta ou encore notamment un grand orgue du début du XVIIe siècle.
Difficile de ne pas admirer aussi les vitraux de la première moitié du XIXe siècle. L'église est ornée de vitraux dont l'exécution, par l'atelier de peinture sur verre de la manufacture de Sèvres, se déroula de 1833 à 1847. Le programme iconographique élaboré avec l'accord du roi Louis-Philippe fit intervenir de nombreux artistes (Aimé Chenavard, Achille Déveria, Delacroix, Feuchères, Wattier, Ziegler). La grande verrière occidentale comporte un grand nombre de panneaux dont les cartons sont de Wattier et de Ziegler. Les verrières des bas-côtés représentent saint Jean l’Évangéliste et sainte Victoire (cartons d'après des dessins de Delacroix), sainte Adélaïde et saint Ferdinand (cartons de Déveria).
Au pied de la Collégiale Notre-Dame-et-Saint-Laurent O’Toole sur la place Isabelle d’Orléans et Bragance, allez visitez le Château-Musée Louis Philippe, déambulez dans son parc à la française. Le centre historique d'Eu mérite que l'on s'y attarde un peu, empruntez le circuit du patrimoine pour découvrir les rues et maisons anciennes de la ville, la Chapelle des Jésuites abritant les cénotaphes de Catherine de Clèves et Henri de Guise, l’Hôtel-Dieu et son jardin ou encore le théâtre du XIXe siècle. A ces lieux s’ajoutent quelques personnages célèbres à l’image de Rollon le viking, Guillaume le conquérant, les frères Anguier, la Grande Mademoiselle, le roi Louis-Philippe, l’architecte Viollet-le-Duc ou encore la Comtesse de Paris qui firent également l’histoire de la cité normande.