Parmi les nombreuses abbayes normandes, l'Abbaye Saint-Nicolas de Verneuil-sur-Avre est l'une des rares qui soit encore debout dans son site d'origine. Elle se cache au cœur de Verneuil-d’Avre et d’Iton une des plus anciennes cité normandes, réputée pour la richesse de son patrimoine. On y accède après avoir traversé un vaste espace en herbe, ancien verger de l’abbaye, situé entre l’église Notre-Dame et les vestiges du rempart médiéval du XIIe siècle. Ces derniers s’étendent sur 360 m autour de l’abbaye et sont un legs unique en Normandie. L'Abbaye Saint-Nicolas de Verneuil-sur-Avre est l’une des dernières grandes fondations bénédictines de Normandie. Pour comprendre son histoire, il nous faut remonter aux XIe siècle.
La ville de Verneuil est fondée en 1120 à des fins militaires par Henri Ier Beauclerc, Duc de Normandie, roi d’Angleterre et fils de Guillaume Le Conquérant. Ce prince, pour protéger sa frontière contre les excursions répétées du roi de France, jeta, en 1120, les fondements de cette place sur la rive gauche de l'Avre. Il fit creuser tout autour de larges fossés qui s'alimentèrent des eaux de l'Iton, par un canal de dérivation partant de Bourth.
Aux premières années du XVIIe siècle, un certain Pierre Rouxel, baron de Médavy (Orne), occupe la charge de gouverneur de la place de Verneuil. L’homme a participé aux guerres de Religion dans les rangs de la Ligue et il passe pour exercer son pouvoir d’une main de fer sur ses administrés. Certes, on le respecte, mais on le craint surtout.
Pierre Rouxel a épousé Charlotte de Hautemer, comtesse de Grancey : dix-sept enfants naissent de cette union particulièrement féconde. Parmi cette abondante progéniture, on compte pas moins de dix filles parvenues à l’âge adulte. Nous retrouverons deux d’entre elles comme abbesses successives de Gomerfontaine (Oise), une troisième à la tête de l’abbaye d’Almenêches (Orne), une quatrième aux commandes du monastère de Vignats (Calvados). Trois seront simples moniales, à Vignats ou à Almenêches. En 1617, à la mort du baron Rouxel de Médavy, Charlotte de Hautemer, conçoit le projet de fondation d'un monastère de moniales avec l'accord de l'évêque d’Évreux Mgr François de Péricard.
Le 25 avril 1627, la fondation de ce prieuré prend corps avec l'installation la première abbesse Scholastique Guyonne de Médavy, sixième enfant de la comtesse Charlotte de Hautemer et de cinq moniales. Guyonne-Scholastique de Médavy est née en 1608, elle est élevée avec ses sœurs à Almenèches par l’abbesse Renée des Guets. A onze ans, lors d’un voyage à Grancey avec sa mère, elle fait vœu de virginité. Elle entre au noviciat de Vignats et passe une année sous la coupe d’une maitresse des novices terrifiante. Guyonne-Scholastique de Médavy pratique l’oraison passive prônée par Bernières et est suspectée de quiétisme. Elle meurt en odeur de sainteté le 31 décembre 1659.
Le 28 avril 1627, l'évêque vient bénir l'église Saint-Nicolas, le cimetière et le presbytère. Le prieuré devient abbaye royale en 1631, par lettres patentes du roi de France Louis XIII. Ainsi les rois conservent le droit de nomination de l'abbesse jusqu'à la Révolution. Louis XIII fait également détruire le château de Verneuil, ce qui permet de construire la seconde aile de l'Abbaye Saint-Nicolas de Verneuil-sur-Avre, terminée en 1635. L'abbesse Scholastique Guyonne de Médavy reçoit la bénédiction abbatiale le 8 septembre 1636 des mains de l'évêque sous le nom de Scholastique. Le 15 septembre 1643, Madame Scholastique consacre son monastère à Notre Dame de l'Escalier.
À la fin XVIIe siècle, sa nièce, Marie Bernard de Médavy, lui succède et entreprend la construction de l’aile est. Sous l'influence du Jansénisme, le gouvernement interdit les nouvelles vocations. L'Abbaye Saint-Nicolas de Verneuil-sur-Avre, privée de la dot de nouvelles soeurs traverse une période de difficultés financières. En 1738, l’évêque annexe à Saint Nicolas l'Abbaye Notre Dame de Pacy, le prieuré du Pont de l’Arche et le prieuré Notre Dame de Dilection de l’Aigle. Leurs domaines sont vendus. En 1739, les religieuses de l'abbaye Notre-Dame-de-l'Annonciation de Pacy quittent leur abbaye et sont réunies à celles de Saint-Nicolas de Verneuil. En 1772, Charlotte d'Hérissy (abbesse de 1753 à 1791) achète les remparts, fossés, buttes et le terrain dénommé « petit pré » derrière les remparts au bas de la propriété. En 1776, un pensionnat débute dans l'aile est.
Le 13 février 1790, l’Assemblée Nationale déclare que la loi cesse de reconnaître les vœux solennels. En novembre 1790, la municipalité procède à l’interrogatoire des religieuses, toutes sont fidèles à leurs vœux. Quand au père Charles Gabriel Leroy, le curé de Notre Dame de Verneuil, il prête serment à la Constitution. A la mort de Mme d’Hérissy, le 3 février 1791, alors qu’il est impossible de recourir au roi, la communauté s’adjuge le droit d’élection. Le 4 février 1791, Mme de Monthiers du Perron est élue sixième abbesse à l’unanimité, choix validé par Mgr de Narbonne avant son départ en exil. Entourée de prêtres jureurs, l’Abbaye est privée des sacrements et de la messe.
La communauté est jetée hors de l'Abbaye le 2 octobre 1792. Mme du Perron et ses moniales se répartissent dans plusieurs maisons de Verneuil. Les pillards dépouillent l'Abbaye et saccagent l’église. Les archives sont brûlées par une moniale prise de panique. A aucun moment le service religieux ne sera toutefois interrompu. Le 2 septembre 1793, Mme du Perron est arrêtée, avec ses filles, puis conduite à l'Abbaye Saint Nicolas, devenue une maison d’arrêt. En 1794, à la mort de Robespierre, les moniales sont relâchées. Elles sont jetées hors de l'Abbaye mais se regroupent pour continuer la vie monastique, sans les sacrements, jusqu'en 1795. Fin 1796, Madame du Perron loue la maison de Vieilles. Puis, la paix rétablie, elle achète la maison de Courcy, bien plus vaste, et ouvre un pensionnat de jeunes filles.
À l’époque napoléonienne, la municipalité réclame des sœurs pour s’occuper de l’hospice. Mme du Perron accepte avec l’autorisation du cardinal légat Caprara. Elles deviennent « hospitalières » et leur travail est bénévole. À Noël 1804, les bénédictines reprennent leur habit quitté depuis 12 ans. Pour régulariser leur situation, Mme du Perron rédige les statuts des dames hospitalières de Saint Benoît.La communauté demande à réintégrer l'Abbaye, en vain. Celle-ci se transforme en théâtre, en fabrique, puis en hôpital dès 1805. Les sœurs travaillent donc à l'Abbaye le jour et retournent à la maison de Courcy le soir.
À partir de 1805, l'abbesse accueille 31 moniales venues d'autres congrégations et chassées de leur couvent. Mme du Perron meurt en 1813 sans avoir eu la consolation de réintégrer son Abbaye. L'évêque nomme Soeur Louise Françoise Anne Lamy. A cette époque, les moniales sont donc une congrégation enseignante avec deux pensionnats, et une congrégation de charité donnant des soins gratuits à l'hôpital situé dans l'Abbaye.
En 1824, les administrateurs de l'hospice proposent à l'abbesse, Mme Lamy, de rendre l'Abbaye aux bénédictines en échange des bâtiments qu’elles occupent à l'époque. L’acte d’échange est signé le 24 avril 1824. L'Abbaye n’est plus qu’une ruine où tout est à refaire, il faut célébrer l’office avec un parapluie. En 1825, les moniales, de retour après la période troublée de la Révolution et de l'Empire, font construire un nouveau bâtiment servant de pensionnat qui s’élèvera à l’est en prolongement de l’aile abbatiale, financé par le marquis de Montmorency et la duchesse de Richelieu. Le 27 mai 1825, le marquis de Montmorency et la duchesse de Richelieu posent la première pierre.
Le 5 juillet 1827, pour adapter les oeuvres telles que le pensionnat et le travail à l'hôpital à l'esprit de Saint Benoît et pour assurer la stabilité d'un point de vue spirituel, l'évêque d'Evreux approuve la rédaction de nouvelles constitutions. L'abbesse fatiguée donne sa démission en mars 1836. Elle meurt le 18 mars 1837. Après 66 ans de labeur le service des bénédictines à l'hospice cesse à la demande de Marie Louise Delvigne (abbesse de 1866 à 1870) au maire de Verneuil. Selon la règle de Saint Benoît, la vocation des religieuses est la prière et la louange avant tout. Les moniales conservent le pensionnat de jeunes filles et le transfèrent dans l'Abbaye.
En 1870, la guerre éclate et le pensionnat ne peut rouvrir. Les classes sont transformées en logement pour les troupes et plus tard accueillent les ambulances. Une épidémie de petite vérole emporte la mère abbesse et plusieurs malades. C'est alors que la prieure consacre l'Abbaye au Sacré Coeur de Jésus. En 1871, l'ambulance est fermée, et le pensionnat rouvre après Pâques. En 1888, Anastasie Grandineau, nouvelle abbesse élue, cède aux sœurs de la Providence d'Evreux l'externat et le cours gratuit. Les sœurs n'ont donc plus d'activité extérieure. Elles ne gardent que le pensionnat de jeunes filles pour subvenir à leurs besoins. Le 26 juillet 1888, les religieuses adoptent les constitutions et le cérémonial de l'Abbaye bénédictine Sainte Cécile de Solesmes, avec l'approbation de l'évêque.
Le 11 juillet 1892, Marie Gertrude Hastey est élue à l'âge de 29 ans. Le pensionnat ferme en 1895, mais les sœurs ouvrent à la place un alumnat. En 1897, le fisc menace de vendre l'Abbaye. La saisie et la vente aux enchères ont lieu en avril 1901. Par chance, l'acquéreur est l'oncle d'une moniale qui garde les sœurs comme locataires. En cette même année, la reconnaissance de la congrégation en tant que « dames hospitalières », acquise sous Napoléon, protège les sœurs. Elles ne sont pas inquiétées par les menaces d'expulsion. En mars 1903, le maire demande de fournir la liste des sœurs présentes dans l'Abbaye avec leur fonction, de faire l'inventaire des biens et l'état des recettes et dépenses. Les avis des moniales divergent sur la réponse à donner. La laïcité s'impose le 7 juillet 1904. Les sœurs perdent le droit d'enseigner.
L'abbesse prend peur et pense à l'exil, à l'instar d'autres congrégations. Malgré l'avis contraire de Mgr Meunier, elle prend le chemin de l'exil en Hollande avec un tiers de la communauté. Elle vend les animaux de la ferme, emporte le linge de sacristie, les objets de valeur, et ferme les comptes. Elle emmène également les alumnates. La prieure et les autres moniales, fidèles aux conseils de leur évêque, décident de rester. Elles n'ont plus rien. Mme Hastey mourra en Hollande le 14 octobre 1904 et demandera pardon sur son lit de mort de la scission qu'elle a provoquée au sein de la communauté.
Au départ de Mme Hastey, c'est Scholastique Couturier qui devient prieure, puis abbesse en 1904. Fille d'un notaire, elle est considérée comme la seconde fondatrice car elle sut redonner à l'Abbaye ébranlée par la scission un second souffle. Quand la guerre éclate en 1914, elle met à la disposition du maire l'aile entière de l'ancien pensionnat pour y établir un hôpital jusqu'en 1916. A leur suite, un groupe d'enfants belges avec leurs maîtres, chassés d'Ypres, occupent les locaux jusqu'en 1919. Scholastique Couturier meurt le 8 novembre 1919. A sa suite, l'abbatiat de Marie Couturier fut la prolongation morale et spirituelle du précédent.
En 1939, l'Abbaye est à son apogée avec 70 sœurs. La seconde guerre mondiale éclate et les locaux de l'ancien pensionnat sont à nouveau réquisitionnés pour des réfugiés éventuels. En juin 1940, devant les menaces de bombardement, Mme Saint Gilles (abbesse de 1934 à 1965) décide d'évacuer les sœurs vers la Vendée. Trois moniales demandent à rester et se dévouent sans compter auprès des réfugiés de passage. Parmi elles, Mère Laurentia Sibien se distingue. Arrêtée par la Gestapo, elle mourra en captivité en Allemagne où elle eut un rayonnement extraordinaire auprès de ses compagnes. L'Abbaye fut relativement protégée des bombardements et des incursions des Allemands. La vie monastique put s'y poursuivre en paix dans la prière, le silence et le travail.
Après la guerre, Mme St Gilles décide d'entreprendre la fabrication de pain d'épices et de biscuits pour subvenir aux besoins des moniales dont les fameuses nonnettes. À partir de 1947, l'abbaye devient célèbre pour sa biscuiterie, dont les nonnettes se vendent jusqu'en 1995. Les moniales ont embauché jusqu'à 10 handicapées rémunérées et suivies. La seizième abbesse, Mme Marie Martzloff, élue en 1965, ouvre une hôtellerie dans l'enclos de l'Abbaye.
Le 25 avril 1977, Pour les 350 ans du monastère, le vieux clocher d'ardoise est reconstruit. Il se dresse fièrement, symbole d'une nouvelle jeunesse et de la pérennité de la louange divine que les moniales continuent de chanter sept fois le jour selon la tradition monastique, sans que jamais au cours de ces trois siècles et demi la célébration de l'office divin ait été interrompue. En août 2001, devenues trop âgées et peu nombreuses, les bénédictines prennent la dure décision de quitter Verneuil. Elle rejoignent l'Abbaye de Valmont, près du Havre, et confient l'Abbaye Saint Nicolas à la Communauté du Pain de Vie, avec pour mission de poursuivre en ces lieux la vie de prière, de travail et d'accueil chère à leur vocation.
La Communauté du Pain de Vie est née en 1976 et elle a été reconnue canoniquement par l'Église en 1984. Ses membres s’engagent, selon les conseils évangéliques, à l'obéissance, la pauvreté et la chasteté selon leur état, par des vœux. En Avril 2007, Mgr Nourrichard, tout juste arrivé dans le diocèse, a demandé au Pain de Vie de quitter les lieux. Le Pain de Vie a fait une demande d’achat, sans réponse. L'abbaye est rachetée en juillet 2009 par la communauté de communes.