La tradition catholique a longtemps considéré que l'apostolat de saint Taurin à Évreux se situe entre 375 et 425 et avance que le souci d'assurer une succession apostolique conduisait parfois à de telles confusions chronologiques. Saint Gaud d'Évreux, successeur de saint Taurin, occupait le siège épiscopal d'Évreux en 461. Le terme d'évêque employé pour saint Taurin n'avait pas la signification actuelle. Il s'agissait plutôt de garant de la doctrine chrétienne et de missionnaire, comme ceux envoyés dans les pays étrangers, dans les siècles suivants. Ils arrivaient dans une contrée où ils cherchaient à évangéliser les populations, en bravant hostilités et périls.
Les périples de saint Taurin, plus nombreux après sa mort en 412 que de son vivant, sont assez extraordinaires. Ses reliques, cachées lors des invasions barbares, furent donc retrouvées vers 600 par saint Laudulphe, évêque d’Évreux, qui édifia alors un premier oratoire au lieu même de la découverte. À partir de 840, les vikings remontent les fleuves, dévastent monastères et églises. Les moines, vivant dans la peur du raid imprévu de ces païens, préfèrent fuir avec les précieux reliquaires dans l’intérieur des terres. Ainsi, en 857, l’Évêque d’Évreux Guntbertus, originaire d’Auvergne, décide de cacher les reliques de saint Taurin dans son pays. Les clercs et leur trésor feront des étapes en route, entre autres à La Ferté-Imbault au diocèse de Blois, et arrivent en Limagne, à Lezoux (Puy de Dôme). D’autres fragments, déposés dans l’église de Pézy au diocèse de Chartres, sont honorés dans la cathédrale depuis 1024.
En 911, Charles le Simple et Rollon négocient le traité de paix. Tout le monde cherche alors à récupérer ses reliques, celles de notre saint reviendront à Évreux après d’incroyables périples. On retrouva le passage de saint Taurin à Saint-Thurin dans le Forez, Balbigny au diocèse de Lyon, Thurins au nord de Lyon, vers Villefranche/Saône, à Cluny et à Gigny, village du Jura qui deviendra un célèbre pèlerinage à notre saint. Gilbert de Saint-Martin, élu abbé de Saint-Taurin en 1247, œuvra au retour des reliques à Évreux, celles-ci étant parties un temps à Fécamp. Il fera exécuter la merveilleuse châsse telle qu’elle est encore visible dans l’abbatiale aujourd’hui.
Un peu affadi jusqu’au XVIIème siècle, on vit renaître son culte grâce à la Vie de saint Taurin écrite par l’archidiacre d’Évreux Henri-Marie BOUDON à la suite de deux miracles retentissants. Lors de la Révolution française, les reliques sont profanées, les ossements retirés de leur châsse et cloués sur " l’arbre de la liberté " planté face à la cathédrale. Heureusement la complicité de certains magistrats de la ville sauvera le magnifique reliquaire et les reliques, conservés encore aujourd’hui dans l’abbatiale Saint-Taurin. Dans notre diocèse, saint Taurin est célébré le 11 août et la découverte de son tombeau le 5 septembre. Toute l’histoire de la vie de saint Taurin témoigne donc de ses nombreux miracles qui l’ont rendu si populaire.
Cette Abbaye Saint-Taurin d'Evreux riche et puissante a connu des destructions, reconstructions et réformes. Après le traité de Saint-Clair-sur-Epte de 911 et à la suite de la réorganisation de la nouvelle province de Normandie, l'abbaye Saint-Taurin fut fondée par Richard Ier de Normandie dit "Richard sans peur", vers 950. Robert le Magnifique, père de Guillaume le Conquérant, plaça l'abbaye sous la dépendance de l 'abbaye de la Trinité de Fécamp qui restaura l'abbaye d'hommes.
Le monastère fut l'objet de nombreuses destructions durant le conflit opposant les ducs de Normandie et les rois de France, et menaçait ruine. En 1195, lors de la prise de la ville par Philippe Auguste, l'abbaye fut incendiée en même temps que la ville d'Évreux, et dut être presque entièrement reconstruite. En 1197, le comte de Meulan, Robert II accorde à l'abbaye 20 sous angevins sur les cens de Beaumont, et le 13 avril 1203, il délivre un acte en faveur de Saint-Taurin d'Évreux à qui il donne l'usage du bois dans la forêt de Brotonne, in monte Gocelini. A la suite d'un procès avec l'abbaye de Fécamp, une bulle du pape Innocent IV libère l'abbaye de la tutelle de celle de Fécamp en 1246 et lui donne le droit d'élire ses abbés.
Au XIIIe siècle, Gilbert de Saint-Martin fut élu abbé. Sous son gouvernement, l'abbaye devint indépendante. C'est à lui aussi que l'on doit la châsse de saint Taurin, ainsi que le portail sud. En octobre 1259, le roi Louis IX vint à l'abbaye à l'occasion du sacre de Raoul de Grosparmi, nommé évêque du diocèse. Par la suite, avec la mise en place du régime de la commende, l'abbaye tomba en décadence. Il fallut attendre le XVIIe siècle pour que la réforme bénédictine amène la congrégation de Saint-Maur à reprendre l'abbaye en 1642. L'église était en ruine ; les trois dernières travées de la nef durent d'ailleurs être démolies. Ce sont les mauristes qui construisirent le portail actuel, de style classique.
Sous la Révolution, le frère Louis Janthia, moine de l'abbaye, est conduit à Paris par les autorités révolutionnaires et exécuté le 26 juillet 1794. L'église abbatiale est transformée en salpêtrière, les derniers moines en ayant été chassés. Elle n'est rendue au culte qu'en 1801 et devient alors église paroissiale, en remplacement de l'église Saint-Gilles située alors dans le cimetière qui occupait l'actuelle place Saint-Taurin qui, avec ses arbres, constitue un site naturel classé.
L'église abbatiale Saint-Taurin, est le témoin intemporel des grandes péripéties d'Evreux. Cela a beaucoup créé d'histoires et de légendes autour de l'église, qui est devenue l'un des incontournables de la ville.