Dominant la ville de Beaumont-le-Roger, le Prieuré de la Sainte-Trinité témoigne de la tumultueuse histoire de la Normandie. On aperçoit de loin les ruines du prieuré en arrivant à Beaumont-le-Roger par la route de Bernay ; elles dominent fièrement la charmante cité traversée par la Risle, une rivière aux eaux vives appréciée des pêcheurs. Il faut prendre la direction de Beaumontel pour s’approcher du site, dont les puissants contreforts dominent la route. Un couloir monumental, récemment restauré, permet de monter sur la terrasse où se dressent les vestiges gothiques de l’église du prieuré, reconstruite au XIIIe siècle. Le calme et la beauté du lieu, la vue sur la vallée de la Risle et la ville en font une promenade indispensable lors de votre étape.
Le nom de la ville, Beaumont, est la contraction de "beau mont", ce nom évoquerait sa situation dominante sur les vallées des environs. En 1007, le nom de "Belmont" apparaît pour la première fois dans une donation faite par Richard II, quatrième duc de Normandie, à sa femme Judith de Bretagne. La charte qui mentionne la constitution du douaire de Judith où Belmons / Beaumont, associé à belmontellum / Beaumontel et Fontanas / Fontaine est datée, pour sa rédaction, entre 996 et 1008.
En 1013, l'abbaye de Bernay est fondée et reçoit les biens que Judith de Bretagne lui attribue à partir de son douaire. Judith de Bretagne décède en 1017. Il faut attendre 1025 pour que réapparaisse Belmons avec Belmontellum dans un état des biens relevant de l'abbaye de Bernay. En 1030, le domaine de Beaumont est cédé à Onfroy de Vieilles, seigneur de Pont-Audemer et de Vatteville-la-Rue. En 1040, Roger d'Onfroy, fils aîné d'Onfroy de Vieilles, appelé Roger-à-la-Barbe ou le Barbu, devient l'héritier du domaine. Il ajoute le nom de Beaumont à son patronyme et devient ainsi Roger de Beaumont, d'où l'origine du nom de la ville. Roger de Beaumont, vers 1015-1094 est l'un des principaux conseillers de Guillaume le Conquérant et participe au financement de l'expédition de 1066 en fournissant des navires à son duc. Il assiste la duchesse Mathilde dans l’administration de la Normandie durant l'absence de son époux le duc parti conquérir l’Angleterre.
Par la suite, la ville s’agrandit autour de Beaumont, comprenant Beaumont-la-ville, le quartier de Vieille et le Bourg-dessus. En 1045, Roger se marie avec Adeline de Meulan. En 1048, Roger fait construire un vaste château sur la côte à partir de 1055 et fait entourer le village du Bourg-Dessus d'épaisses murailles et fonde l'église Saint-Nicolas. Cet acte est l’expression symbolique de la place de cette nouvelle seigneurie dans la gouvernance du duché. L'ensemble castrum et collégiale relève d'une stratégie de structuration administrative et militaire mise en place par Guillaume le Conquérant et suivie par ses fils pour « quadriller » la Normandie. Ce n'est probablement qu'à partir du milieu du XIè siècle que Roger porte le nom de "Beaumont" ; jusqu’à cette date, il ne signait que Roger fils d'Onfroy. La chronologie manque de détail, mais les sources font apparaître une présence de Roger et de sa famille de plus en plus régulière sur le territoire beaumontais à partir des années 1050.
En 1070, il fait bâtir la collégiale de la Sainte-Trinité, à flanc de coteau, en contre-bas de son château. Le terrain n'est pas suffisamment grand. Ainsi, c'est en mordant le sein de la montagne que Roger fit l'emplacement à mi-côte, voûté en cave, avec quatre minarets, adhérant à l'église par la gauche. Le terrain fut soutenu de murailles elles-mêmes étançonnées par d'énormes piliers en pierre à la hauteur de quarante à quarante-trois pieds. Le nom du premier doyen porte à controverse, car le patronyme de « Wazon », parfois indiqué dans les livres d'histoire, n'est pas cité dans les textes. Roger dote richement la collégiale. Les témoins de l'acte sont Robert Courteheuse fils de Guillaume le Conquérant, Robert d'Harcourt, Roger de Thibouville, Thierry de Launay, Ranulphe de Bigars et autres seigneurs de la contrée.
En 1077, à sa mort, son fils Robert hérite des comtés de Beaumont, Pont-Audemer et Meulan et se marie à Isabelle, nièce de Philippe, roi de France. Il devient alors un des plus puissants seigneurs. En 1087, la collégiale de la Sainte-Trinité est inaugurée en présence de l'archevêque de Rouen et de l’évêque d’Évreux. Elle est confiée à des chanoines anglais de Sainte-Frideswide d’Oxford. La collégiale de Beaumont a sous sa tutelle les églises et chapelles dépendant de Beaumont. Roger dote richement la collégiale. Les biens sont tous situés dans un périmètre qui va de Beaumontel à Barc, en passant par les moulins situés sur la Risle. Cet établissement religieux, qui n'est pas un monastère, accueille cinq à six chanoines séculiers. Ils n'ont aucune obligation comme celle de vie commune des moines. Leur mode d'organisation se caractérise par l’existence d’une église, probablement située sur l’emplacement de celle que nous connaissons, et de maisons occupées par les chanoines, mais dont seulement deux sont situées à proximité du lieu de culte. Les autres sont situées dans le village.
En 1118, Robert de Beaumont fonde le Prieuré de Grammont et y meurt la même année. En 1129, l’héritier de Roger, Galeran, mieux connu sous le nom de Galeran II de Meulan lui succède. Il va tenter de réformer la petite communauté des chanoines en leur imposant « le pain commun » et l'existence d'une salle commune, à l’exemple des chanoines qui officient dans le chapitre de la cathédrale d’Évreux. Il s’agit alors de mettre en place un semblant de vie commune pour ces religieux, suivant les principes suivis par la réforme grégorienne qui a pénétré l’ensemble des diocèses. La petite communauté de Beaumont n’échappe pas à ce mouvement. Galeran se montre d’ailleurs très préoccupé par la qualité de vie des religieux en général et sera un grand donateur pour l’ensemble des établissements relevant directement de sa juridiction : Mantes, Meulan, le Bec Hellouin. Il ira jusqu’à fonder l’une des premières abbayes de chanoines réguliers en Normandie, celle de Grammont.
En 1131, la collégiale de la Trinité bénéficie de la vague de confirmation des biens aux établissements religieux que réalise Henri Ier Plantagenêt lors de sa venue au château d'Arques. La chance a voulu que cette charte soit retrouvée presque intacte aux Archives Départementales de l’Eure et qu’elle reprenne tous les actes qui aient été établis en sa faveur depuis sa fondation. En 1142, Galeran met la « touche ultime » à son projet de suivre et d’amplifier la réforme de la vie religieuse à Beaumont en cédant l’église de la Trinité et tous ses biens à l’abbaye du Bec Hellouin pour qu’y soit fondé un prieuré de l’ordre bénédictin. Remplacés par douze moines, les chanoines de la Collégiale ne sont pas pour autant chassés. Ils ont le choix de rester en se conformant à la nouvelle règle ou de rejoindre une autre communauté, dont peut-être celle de Sainte Frideswide en Angleterre. Le premier prieur de la Trinité est Robert, moine du Bec.
La donation est approuvée en 1143 par le pape Innocent II. Une bulle du Pape Innocent II, tout en confirmant l’attribution de l’église en 1143 et de ses biens au Bec, a rappelé aux très zélés moines bénédictins le devoir de respecter les anciens membres de la communauté séculière. Le prieuré de la Sainte-Trinité continue de recevoir des dons, des rentes et des terres. En 1166, Galeran meurt et c'est son fils aîné, Robert IV de Meulan, qui lui succède. À la fin du XIIè siècle, le château est renforcé pour Richard Cœur de Lion avant de passer à la couronne de France.
En 1258, Louis IX passe par Beaumont et afferme des vignes sises près du château de la ville aux religieux du prieuré. En 1307, Philippe le Bel accorde aux religieux du Bec et de Beaumont le privilège de relever directement de la couronne et de transporter, vendre et acheter dans tout le royaume des marchandises exemptes de tous droits. Domaine royal jusqu'en 1310, quand Philippe IV le Bel, roi de France érigea Beaumont en comté-pairie et le donna en apanage à Robert III d'Artois (arrière-petit-fils de Robert Ier d'Artois, frère du roi Louis IX connu sous le nom de saint Louis) . Robert d'Artois, seigneur de Conches-en-Ouche, de Domfront et de Mehun-sur-Yèvre, a reçu en 1310 en apanage le comté de Beaumont-le-Roger en dédommagement du comté d’Artois auquel il prétendait. C 'est ce dernier qui conseille le roi Edouard III lors de la guerre de Cent Ans. Charles le Mauvais, comte d'Evreux et roi de Navarre, est le dernier possesseur du château.
Le 6 mai 1378, Du Guesclin assiège la ville. Il fait détruire le château. C'est le début d'une longue décroissance. En 1418, Henri V d’Angleterre prend la ville et la livre au pillage. En 1786 le prieuré est complètement délabré et les reliques sont transférées dans l’église paroissiale de Beaumont le Roger. En 1789, à la veille de la Révolution, seuls deux chanoines occupent les bâtiments claustraux mais peu de temps après les locaux sont dévastés. Les commerçants rouennais effectuent les réparations nécessaires à la conservation de l'édifice. Ils débouchent les croisées remplies de moellons et consolident les bâtiments à l'aide de matériaux provenant du château du président du Parlement de Rouen. Des campagnes régulières de travaux sont entreprises entre le XVIIè siècle et le XVIIIè siècle pour garantir les lieux et assurer la permanence de la communauté sur place.
En 1791, lorsque la Révolution arrive, un inventaire des biens de l’église et des moines vivant sur place est ordonné. La communauté est composée de quatre personnes et les édifices sont en tous dans un état médiocre. Vendu en tant que Bien National, le prieuré de la Trinité participe à l’industrialisation de la Normandie. En 1820, l’industrie textile s’empare de ce qui reste des bâtiments qui deviennent une filature de coton, une fabrique de rubans et une manufacture de draps.
En 1847, le prieuré de la Trinité est proposé à la ville pour la somme de 7.000 F. La majorité du conseil préfère l'adjuger à un homme qui détruit l'édifice pour en vendre les matériaux. On brise les tombeaux pour en négocier la pierre et on jette parmi les décombres les morts ensevelis dans des linceuls de cuir tanné et très biens conservés. De nombreuses maisons de Beaumont-le-Roger ont été construites avec les pierres du prieuré. En 1862, M. Lenormand, membre de l'institut, alarmé, arrête la démolit Quelques années plus tard, une partie des murailles de soutènement est démolie pour l'élargissement de la route de Brionne. En 1916, le prieuré est classé au titre des monuments historiques. Il est depuis propriété de l’État qui en assure la conservation.
Dans un paysage somptueux…Il subsiste aujourd’hui que des ruines de l’abbatiale du XIIIe : quelques pans de murs des anciens bâtiments claustraux. Seule l’église profile sur le flanc de la colline ses ogives du XIIIème siècle. On y accède par une longue galerie voûtée dont la muraille est flanquée de contreforts massifs. On profite, du haut de l’esplanade, d’un large panorama sur Beaumont-le-Roger et sur la vallée de la Risle.