Placée sur la route des abbayes, les ruines impressionnantes de l’abbaye de Jumièges sont d’une grandeur et d’un équilibre qui la rendent étonnante. Les tours blanches de l’Eglise de Notre Dame, principal monument encore debout qui s’élèvent à presque 50 mètres au fond d’une boucle de la Seine, créent toujours la surprise et l’admiration du visiteur. L’histoire très longue du monastère est ponctuée, de modernisations et de reconstructions, dont certaines ne sont plus même visibles aujourd’hui.
Dans le souci de garder toute son authenticité au monument, la reconstruction de l’abbaye de Jumièges n’a pas été envisagée. Des travaux de consolidation et de protection des maçonneries sont toutefois régulièrement programmés pour préserver autant qu’il est possible ses structures et son décor, et en assurer la sécurité. S’il ne reste aucun vestige apparent de l’époque de sa fondation au VIIème siècle, sa visite est une traversée de neuf siècles d’architecture, du IXème au XVIIème siècle.
L’abbatiale Notre-Dame
L’abbatiale Notre-Dame, principale église de l’abbaye, en est le fleuron, et un exemple exceptionnel d’architecture romane normande. Elle correspond au premier sanctuaire que les moines ont reconstruit. Du point de vue architectural, elle conserve également la partie la plus ancienne de l'abbaye. Cette grande église romane normande est édifiée au XIe siècle sous l’impulsion de l’abbé Robert de Champart. La construction commence en 1040 et s’achève en 1066, soit 26 ans plus tard.
Il ne subsiste quasiment rien de l'abside et du chœur gothique, à part une chapelle rayonnante, quelques pans de murs et substructions. Les parties romanes, à savoir la façade, la nef et le mur ouest de la tour-lanterne sont les mieux conservées. L'abbatiale mesurait 88 mètres de longueur et les murs de la nef atteignent encore 25 mètres sur trois niveaux d'élévation. Une tour-lanterne à deux étages illuminait la croisée du transept, mais il ne subsiste que le mur ouest. Au-dessus de l’entrée se trouve la tribune principale. C’est le seul élément avec l’entrée qui possède une voûte en berceau. C’est depuis cette tribune que Guillaume le Conquérant, vainqueur de la bataille d’Hastings et « fraichement » roi d’Angleterre, assiste à la dédicace de Notre-Dame en 1067. Il a ordonné que les 5 évêques de Normandie soient présents.
Le chœur n’existe quasiment plus. Il est possible de voir le muret du déambulatoire et les murs bas des 11 chapelles. Seule la chapelle Saint-Michel subsiste. Des ouvertures en arcs brisés sur le mur nord-ouest et le mur sud du transept ainsi que des frises florales sculptées montrent la présence du style gothique dans le chevet. La chapelle de la Vierge accueille en 1450 les reliques d’Agnès Sorel, la favorite du roi Charles VII. En 1562, les moines quittent l’abbaye pour se protéger des incursions protestantes. Ces derniers pillent le monastère et profanent le tombeau de la Belle-Agnès. Les reliques sont depuis portées disparues.
À l'Abbaye de Jumièges, deux exemples étonnants de gargouilles se situent au sol des bas-côtés de l’église Notre-Dame. Deux figures humaines semblent hurler : le premier est un corps tendu en un léger arc de cercle, les bras plaqués de tout leur long ; le second est dans une souffrance très marquée, il se tient le ventre et se serre la gorge. Les gargouilles sont initialement de simples gouttières d’évacuation d’eau. Ces canons sont devenus des éléments d’expressions artistiques et symboliques. Symboliquement, la gargouille est une protection pour une église. D’autres gargouilles à l’apparence de chimères possédants des pattes de chien, des queues de lézard, des têtes de bouc sont là pour effrayer le mal extérieur. Elles ont trouvé une place de choix au sommet des églises.
L’église Notre-Dame communique avec l’église Saint-Pierre par un couloir portant le nom de « passage Charles VII ». Il rend hommage à la venue du roi qui chaque matin partait rejoindre sa maîtresse.
L'église Saint-Pierre
Plus modeste que l’église Notre-Dame, l'église Saint-Pierre est pourtant celle qui donne son nom à l’abbaye. L’église Saint-Pierre est une rescapée des raids vikings. Elle etait le sanctuaire réservé à la communauté religieuse. C’est ici que se passent les offices nocturnes. Les traces les plus anciennes de sa construction datent de l’époque carolingienne. Les tribunes sont toujours visibles. Les baies-doubles qui les composent sont séparées par une colonnette rouge au chapiteau ciselé. Un visage étonnant se détache dans l’église Saint-Pierre sur le mur sud de la nef. C’est un reste de peinture datant de l’époque carolingienne. L’identité de ce personnage est inconnue. La forme de son visage témoigne d’une forte influence romaine et byzantine. Ce sont les seuls témoins de la réforme apportée par Louis Le Pieux qui consiste à faire de toutes les abbayes présentes dans l’Empire des monastères bénédictins.
Les seules consoles encore visibles se situent dans l’église Saint-Pierre. La console est un élément en pierre saillante du mur permettant de soutenir une statue ou un élément d’architecture. Plusieurs d’entre elles dans l’église Saint-Pierre représentent une tête humaine au visage large et doux avec un menton fort. Chacune de ces têtes possède des cheveux longs. L’identité de ces personnages est inconnue. Plus surprenant, deux des consoles sont des singes semblant les retenir.
Le cloître
Le cloître a été construit en 1530 sous l'abbé François de Fontenay. De style gothique flamboyant, comme celui de l'abbaye Saint-Wandrille de Fontenelle, il n'en subsiste aujourd'hui que des traces au sud de l'abbatiale Notre-Dame. Cour central de l’abbaye, le cloître donne accès à chaque bâtiment. Il dessert les deux églises, la salle capitulaire, la sacristie, le réfectoire et la salle des hôtes. C’est aussi un lieu d’isolement et de recueillement. Le moine peut s’y promener, lire ou prier. Sa forme carrée ne donne qu’une sortie pour le regard : le ciel. Sur son aspect architectural, il ne reste rien hormis un départ de voûte dans le coin nord-ouest. D’après les sources documentaires, le cloître adopterait le style gothique flamboyant au XVIe siècle. Le péristyle est composé d’arcades complexes et les plafonds possèdent 4 clés de voûte pendantes. Des fresques sur l'histoire ou les légendes de l'abbaye décoraient les murs du cloître.
La salle des hôtes
Le bâtiment qui fait face à l’entrée du parc est le lieu qui accueille les grands de ce monde tel que le roi ou certains notables. Cette salle voit le jour au XIIe siècle. L’extérieur est richement décoré. Chaque baie possède une frise à ligne brisée, chaque solive du toit est finie par un modillon. Cette façade est beaucoup moins austère que l’église Notre-Dame qui la jouxte. À l’intérieur tous les départs de voûte sont ponctués par un chapiteau sculpté. Les voûtes sont larges et se croisent, donnant à ce bâtiment une taille impressionnante. Sur le mur nord, on distingue encore une bande de peinture rouge-jaune-bleu. À l’époque, les murs en sont couverts.
Bibliothèque monacale
L’abbaye de Jumièges possédait un scriptorium dont la localisation reste encore floue. Mais il reste un indice important de la place du livre au sein du monastère. Au-dessus de la salle des hôtes se dresse, au XVIIe siècle, la nouvelle bibliothèque monacale qui conserve, avant son démantèlement, près de 5000 manuscrits. Les dernières traces de son existence sont les départs de murs qui laissent deviner la présence des fenêtres. Les toits successifs sont également visibles sur la face sud de la tour circulaire sud.
Les moines copistes ont un travail de retranscription, qui demande une grande rigueur. La forme des lettres, la taille des mots, tout doit être fait dans une régularité et dans la rigueur de l’exercice. Les enlumineurs viennent ensuite placer le décor nécessaire pour apporter une autre compréhension du texte et en souligner l’essence. La lettrine indique le début d’un paragraphe ou indique la localisation dans le récit d’un personnage important. Elle peut ainsi mettre en scène l’individu dont il est question ou porter ces attributs. Il est possible qu’elle ne soit que décorative avec de simples motifs floraux ou animaux. Les motifs floraux sont les motifs les plus récurrents qui encadrent sous forme de marge le texte.
Le cellier
À l'ouest du cloître se trouve l'ancien cellier, adossé à la salle des hôtes. Il sert à conserver les aliments au frais, sa position en entresol garantit une température basse tout au long de l’année. Le cellier comprend des parties romanes du XIIe siècle et gothiques et des souterrains qui, d'Ouest en Est comprennent 26 caveaux, 13 de chaque côté pouvant contenir chacun 600 bouteilles, une allée longue et étroite puis une salle voûtée soutenue par trois fortes colonnes.
La Porterie
La Porterie, vaste et massive, se situe à l'extrémité ouest de la clôture. C'est l’entrée principale du site, la Porterie une allure atypique mélangeant plusieurs styles architecturaux. La base du XIVe siècle est encore visible dans la partie droite : la tourelle, les grandes portes et les contreforts. C'est un espace rectangulaire qui s'ouvre de chaque côté par deux portails : l'un pour les charrois (le plus grand) et l'autre pour les piétons. Sur les façades de la porterie, quelques gargouilles ailées à tête de bouc du XIVe siècle subsistent encore. Sur la Porterie, les gargouilles sont purement décoratives. À l'intérieur de la Porterie, la voûte est construite sur croisées d'ogives et la base des murs latéraux est occupée par des bancs de pierre destinés aux pèlerins et aux visiteurs.
La boutique actuelle est dans l’emplacement de l’ancienne écurie et les étages n’existent pas à l’époque des moines. Les modifications sont faites au XIXe siècle par un élève de Viollet-le-Duc à la demande de Aimé Lepel-Cointet, propriétaire de l’abbaye depuis 1853. La transformation concerne l’ensemble du batîment en créant au rez-de-chaussée le premier musée lapidaire, au premier étage, les grands salons et au deuxième étage, les parties privées. De l’extérieur, le style néogothique se fait sentir. Les arcades romanes sont mêlées aux ouvertures gothiques. Les cheminées et les boiseries des fenêtres sont d’inspiration Renaissance.
Le logis abbatial
À l'est, au point le plus élevé à l'intérieur de la clôture de l'abbaye, se trouve le logis abbatial ( lieu de résidence de l’abbé) qui est une grande bâtisse de style classique, aux lignes sobres et équilibrées, construite par les mauristes au XVIIe siècle. Au XVIe siècle, un nouveau système se met en place dans les abbayes : le régime de la Commende. C’est le roi qui choisit l’abbé, généralement un laïc. Il n’est plus choisi par la communauté. Il n’est donc plus question d’une cellule attitrée à proximité des moines mais d’un bâtiment d’apparat éloigné des lieux de culte. L’abbé est de moins en moins présent dans l’abbaye, auprès des moines, et se contente de recevoir une rente.
À l'époque de la construction du logis abbatial, l'abbé commendataire est François Harlay de Champvallon qui deviendra archevêque de Rouen. Aujourd’hui, le logis abbatial accueille une collection de lapidaire : statues, clés de voûte, des chapiteaux y sont gardées précieusement. Il est accessible au public en haute saison et est un très bel écrin pour les expositions photographiques.
Décorations
Cet édifice d’importance royale possède une multitude de décorations. Les sculptures se trouvent sur les consoles, les statues, les gargouilles ou encore les clés de voûtes.
Les terrasses
Les jardins sont aménagés durant la même période que la construction de la bibliothèque et du logis actuel, soit au XVIIe siècle. Ces terrasses en jardins à la française sur trois plans font face au dortoir qui n’existe plus. L’entrée et l’escalier sont alignés. De part et d’autre de cet axe se trouvent deux châtaigniers. Un mur orné de vasques présente l’emplacement des deux autres terrasses. Il y a également un potager et des jardins d’agréments.
Le parc
La superficie du parc est de 14 hectares. La prairie, au sud, est la dernière acquisition des moines. C’est dans cette partie que la communauté construit un monticule artificiel qu’elle nomme Mont Thabor. C’est un lieu de recueillement et d’isolement. Le parc change de visage et devient un jardin à l’anglaise dès 1896. Henri et Achille Duchêne, paysagistes de renom, s’attèlent à la tâche à la demande de la dernière héritière de la famille Lepel-Cointet, Mme Désirée Mathilde plus connue sous le nom de Madame Éric.