Le château-fort moyenâgeux à Aques-la-bataille, en référence comme à Ivry-la-Bataille, à une victoire d'Henri IV, est un bel exemple d'évolution des châteaux Normands. C'est aux Normands, a-t-on dit, que l'art de la fortification dut en France son origine et son plus beau développement: car leurs invasions firent multiplier sur tous les points du sol de nouveaux moyens de résistance. Une fois établis en Normandie, les hommes du Nord profitèrent des leçons de leurs vaincus, et enchérirent même singulièrement sur l'industrie carlovingienne.
Leurs forteresses ne rappellent en rien les défenses primitives. Ce sont de vastes constructions en pierre, élevées non plus contre une agression passagère, mais d'après un système de résistance permanente et collective. Il s'y révèle une merveilleuse entente de la fortification. Leur premier soin, à peu près dans toutes les entreprises de ce genre, fut d'édifier leurs châteaux forts sur des plateaux triangulaires, bordés sur deux côtés de pentes abruptes; l'art n'avait donc à pourvoir entièrement à la défense que pour l'isthme qui reliait le sol fortifié à la plaine voisine.
Le château d'Arques-la-Bataille, mais quelle Bataille ?
Le château-fort moyenâgeux d’Aques-la-bataille était réputé pour son invincibilité. Jamais au cours des siècles il ne fut pris de vive force. Combien de rois et d’hommes de guerre s’y sont frottés sans succès. Dont parmi les plus célèbres Baudouin, comte de Flandres en 1118, Philippe-Auguste en 1202, Charles le Téméraire en 1472, et le duc de Mayenne en 1589 face à Henri IV avec des forces pourtant cinq fois supérieures en nombre au cours d’une célèbre bataille…
Les Normands, en gens avisés qu'ils étaient, durent faire d'Arques une de leurs premières bases d'opérations dans la Haute-Normandie. La première construction : une enceinte de pierre ovoïde avec, pour tout passage, une porte aménagée à même le mur, protégée par une tour sans doute en matériaux légers et la tour maîtresse ou donjon en bois au sommet d'un éperon rocheux qui épouse la déclivité naturelle du sol, pourrait avoir eu lieu, selon le chroniqueur Guillaume de Poitiers, entre 1040 et 1045 par Guillaume de Talou. Le Pays de Talou etait une ancienne région au nord du Pays de Caux. Les ingénieurs se mirent à l'oeuvre et y réussirent si parfaitement, que jamais le château d'Arques-la-Bataille n'a pu être pris de vive force. Une fois la forteresse érigée, un profond fossé est creusé autour.
Guillaume de Talou, nommé aussi Guillaume d’Arques est le fils du défunt duc de Normandie Richard II (996-1026), et donc l’oncle de Guillaume le Conquérant (1035-1087). Profitant de la minorité de Guillaume le Conquérant, alors âgé de onze ans, appelé aussi le « bâtard », Guillaume d’Arques était tellement sûr de son indépendance qu'il n'hésitait pas à s’appeler "comte par la grâce de Dieu", remettant ainsi directement en cause le lien vassalique qui le subordonnait à son neveu. S'intituler « comte par la grâce de Dieu », n’est pas si surprenant en soit, puisque les diverses royautés européennes estimaient que leur statut était une volonté de Dieu.
Probablement en 1052, Guillaume le Conquérant repris la main et imposa, conformément au droit féodal normand, la présence d'une garnison à ses ordres derrière les murailles. Mais Guillaume d'Arques parvint à circonvenir les hommes du duc dès 1053 et se rendit maître de la place. Guillaume le Conquérant réagit promptement en venant l'assiéger et obtint sa reddition un an plus tard après l'avoir réduit à la famine (1054). Siège mené par un de ses fidèles chevaliers Gautier Giffard qui deviendra après la bataille de Hasting (1066) Seigneur de Longueville, château situé à quelques kilomètres d'Arques.
En 1118, Beaudoin VII, comte de Flandre, assiégea le château d'Arques-la-Bataille avec seulement quelques chevaliers. Mal lui en prit, car au cours d'un combat mémorable, il fut tué sous les remparts d’Arques. Baudouin VII, comte de Flandres, trouva la mort sous les remparts d’Arques. S’étant porté avec quelques chevaliers seulement sous les murs de cette forteresse, qui contenait une garnison nombreuse, il fut tout à coup enveloppé par des forces supérieures. En vain il se défendit comme un lion, en vain il se débattit longtemps, quoiqu’il fut couvert de sang et de blessures ; son casque ayant été brisé, un chevalier normand, Hugues Boterel, lui fendit le crâne, et ses compagnons l’emportèrent mourant.
En 1123, Henri de Beauclerc, roi d'Angleterre et duc de Normandie, dernier fils de Guillaume le Conquérant fait édifier des améliorations au château d'Arques-la-Bataille. Il en fait construire également au château de Falaise et de Domfront d’où leurs ressemblances. Henri de Beauclerc fit ériger un donjon et une porte quadrangulaire. Il consolida également les murs d'enceinte. Le donjon de style roman érigé à l'extrémité sud de l'enceinte présente un plan carré de 20,20 m de côté avec de gros contreforts apparents de 3 m sur 3 m sur les faces nord et est. Il succède à un donjon en bois. Les murs sont épais de 2,20 m au sud, de 3 m au nord et de 3,50 m à l'est. L'intérieur est partagé en deux par un mur de refend, épais de 1,20 m, formant deux salles, orientées nord/sud, de 15 m de longueur et de 6,30 m à 6,90 m de large. Dans le donjon se trouvaient une chapelle, un puits d'une profondeur de 106 mètres et un moulin. L'accès au donjon se faisait par le mur ouest au travers d'un escalier large d'un mètre et intégré dans le mur. Le donjon fut surmonté à la fin du XVe siècle par une plateforme d'artillerie.
Pendant la captivité de Richard Cœur-de-Lion, le château d’Arques fut livré à Philippe Auguste en 1194. La première pensée qui vint Richard Cœur-de-Lion, au sortir de sa prison, fut celle de reprendre cette forteresse. Les Normands s’étant mis en retraite, un rude combat s’engagea entre les Français et la cavalerie Anglo-Normande. Dans la mêlée le fameux comte de Leicester se précipita sur Mathieu de Marly, et lui traversa les cuisses de sa lance. Mathieu, malgré sa blessure et le sang dont il était couvert, frappa son adversaire dans la poitrine d’un coup de son épieu, et l’envoya mesurer la terre de son corps immense. Le comte ne se releva que pour être fait prisonnier. Vingt-cinq chevaliers de marque subirent le même sort. Richard Cœur-de-Lion n’était pas homme à rester sous le coup d’une défaite. Il attendit le roi de France à la sortie de Dieppe, auprès d’Arques, dans le même lieu où il s’était déjà mesuré avec lui. Là il plaça sa troupe en embuscade, tomba sur l’arrière-garde française et la mit dans une déroute complète. Néanmoins ce ne fut pas par la force des armes, mais en vertu d’un traité, que Richard rentra dans le château d’Arques.
Quelques années après, le château d’Arques servit de prison à la princesse Aliénor, sœur d’Arthur de Bretagne, qui fut assassiné dans la tour de Rouen, par son oncle, le lâche Jean Sans-Terre. Peu d’années s’écoulèrent avant que le château d’Arques retombât au pouvoir des Français. Après la mort de Richard, Philippe Auguste, roi de France, se mit en mouvement pour reconquérir sa belle province de Normandie. Déjà Lisieux, Falaise, Domfront, Mont-Saint-Michel, Carentan, Caen, Bayeux, Rouen, avaient ouvert leurs portes au monarque de France ; la vieille bannière normande ne flottait plus que sur un seul point en Normandie. Ce point, c’était le donjon du château d’Arques, qui se rendit par capitulation suite de la mort de son commandant, Guillaume Lemoine. Une flèche lancée au hasard du camp des assiégeants alla le frapper à mort, dans une des tours de la place, le 1er juin de l’année 1204. Entre 1135 et 1204 furent érigés différentes tours et le pont-levis à l'arrière du donjon.
En 1355, 1367, 1378, et en 1380 des réparations furent effectuées dans le château d'Arques-la-Bataille. En 1367, Charles V fait édifier « des ponts neufs et une neuve porte au Chastel d’Arques » qui correspond à l’entrée Sud-Est actuelle avec ses piliers. En 1419, le roi d'Angleterre Henri V se rendit maitre de Rouen. La guerre de Cent-Ans va faire du château d’Arques une place forte, théâtre des nombreux affrontements pour tenir la place. Le château s'avéra imprenable, les Anglais ne l'occupant qu'après la cession de la Normandie par le traité de Troyes de 1420.
Dans la nuit probablement du 22 ou 23 décembre 1430, Jeanne d'Arc prisonnière des Anglais, est peut-être enfermée une nuit dans le d'Arques-la-Bataille avant de prendre probablement la route de Bosc le Hard pour finir le parcours de captivité le 24 ou 25 décembre de la même année dans le château de Rouen. Je ne crois pas qu'on ait des élements sur sa captivité et son lieu exact de détention. Le donjon serait, en théorie, l'endroit le plus probable, mais il est, à mon avis, dans ce cas-ci, le plus impropre à un emprisonnement vu qu'il était résidentiel et défensif. Il est fort probable qu'elle fut enfermée dans une des tours, peut-être dans le chatelet d'entrée Nord. En 1431 Guy II le Bouteiller devient capitaine du château.
Les paysans cauchois se révoltèrent en 1435. Ils prirent toutes les forteresses de la région ainsi que la ville de Dieppe, mais le château d'Arques, Bellencombre et Caudebec restèrent aux mains des anglais. En septembre 1449, les Dieppois prirent l'enceinte qui protégeait la ville d'Arques et assiégèrent le château qui leur résista. Charles VII se rendit maitre de Rouen en décembre 1449 provoquant ainsi la reddition des Anglais sous le commandement de Somerset.
En 1472, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, en conflit avec Louis XI, incendia les faubourgs d'Arques et la ville de Dieppe. Le château résista de nouveau à son siège. C'est à partir de cette période que l'on va entreprendre la dernière phase des travaux et son aménagement aux armes à feu. Entre 1499 et 1522, le château d'Arques-la-Bataille connut sa dernière phase de construction. Il fut modernisé et des bastions d'artillerie furent érigés à partir 1500, notamment en avant de l'entrée originelle du XIIe siècle. À cette époque, le château fut entouré d'un fossé sec profond de 15 à 20 m, formant un double fossé avec les vallées aux pentes abruptes naturelles.
En 1544 et 1545, François Ier vient lui-même suivre les travaux du bastion d’Artillerie de l’entrée du château d'Arques-la-Bataille. Ce n’est pas une exception, François Ier aimait régulièrement suivre ses différents travaux. Après les diverses transformations opérées sous le règne de François Ier, le château prit une part active aux guerres de religion qui secouèrent la France. En 1562, chassé par les protestants de Dieppe, le duc de Bouillon se réfugia au château, après avoir été chassé de Dieppe par les protestants. Le comte de Montgomery, protestant, viendra l'assiéger sans succès l'année suivante. Aymar de Chaste, gouverneur de Dieppe, s'empara en 1584 du château d'Arques-la-Bataille par la ruse pour le compte du roi Henri III.
C'est au mois de septembre 1589 que se déroula la plus célèbre bataille liée à la place-forte. Le château d'Arques-la-Bataille permit à Henri IV, retranché au château, de résister aux ligueurs sous le commandement de Charles de Mayenne lors de la bataille d'Arques. Avec 7 000 hommes, Henri IV affronta les troupes de la Ligue, fortes de 30 000 soldats, commandées par le duc de Mayenne. Bien que nettement inférieures en nombre, les forces d'Henri IV tenaient le château dont ne purent s'emparer leurs adversaires. Le 21 septembre fut une journée décisive ; alors que les défenseurs fléchissaient, ne bénéficiant pas, à cause du brouillard, du soutien des canons, le temps s'éclaircit. L'artillerie put entrer en action et infligea de lourdes pertes à l'ennemi qui se replia en désordre sur Dieppe, de nombreux cavaliers s'enlisant dans les marécages environnants. C’est de cet évènement que le château prend le nom d’Arques la Bataille.
Le jeune Louis XIV, âgé de neuf ans, en compagnie de sa mère, la reine régente Anne d'Autriche, visitèrent le champ de bataille et le château en 1647. Le château d'Arques-la-Bataille perdit son rôle militaire en 1668 avant d'être déclarée, en 1708, impropre au service militaire par ce même Louis XIV. Le château fut laissé à l'abandon à partir de 1735. 1735 à 1771, la forteresse est transformée en carrière de pierre accélérant son démantèlement. Gabriel de Clien fut autorisé, en 1753, à prélever des pierres pour la construction de son château de Derchigny situé à une dizaine de kilomètres au nord-ouest. Par la suite, des religieux et les habitants d'Arques firent de même.
Les ruines furent vendues comme bien national en 1792 à Louis Félix Reine citoyen d'Arques-la-Bataille pour 8300 livres. Le château d'Arques-la-Bataille devint la propriété de l'archevêque de Dieppe en 1814. Le nouveau propriétaire laisse visiter le château contre un droit d’entrée : un impôt de 20 sous par visiteur. En 1836, après une tentative de le démolir complètement, Achille Déville réussit à organiser un mouvement populaire pour le faire racheter par Jules Reiset et sa femme, afin d'en assurer la sauvegarde. J. Reiset, etait un ancien receveur général du département. Jules Reiset fait commander le bas relief représentant Henri IV le jour de la bataille d'Arques en 1845. Il est inauguré le 21 seprtembre 1845, jour d'anniversaire de la bataille.
En 1860, certaines pièces du château d'Arques-la-Bataille furent aménagées en musée avant le rachat de l'ensemble par l'État pour la somme de 60 000 francs-or. Classé Monument historique en 1875, le château fut occupé à partir de 1940 par l'armée allemande qui y installa des canons antiaériens. Avant de s'enfuir en 1944, les troupes allemandes firent exploser leurs stocks de munitions, ce qui détruisit la tour de la porte sud.
Jusqu'en 1970, le gardien organisa des visites guidées des lieux. Le château d'Arques-la-Bataille fut fermé au public en 2003 pour des raisons de sécurité. Depuis plusieurs décennies le château n’est plus visitable à cause des chutes de pierre. En 2010 un programme de restauration a été prévu avec un financement de 220 981,45 TTC suite à un traitement d’éco-pastoralisme et de lierres menés pendant 2 ans. Ce petit programme avait pour but de reprendre en partie les massifs extérieurs du château, les courtines du Bayle et la pile N°1 du pont de secours. Telle fut l'origine de la grandiose forteresse dont les ruines vieilles de neuf siècles, provoquent toujours l'étonnement et l'admiration.